Des déités descendues de la montagne à la haute culture samouraï de l’Akita

Le folklore des Namahage, les déités monstrueuses d’Oga

À l’ouest de la préfecture d’Akita, la péninsule d’Oga séduit par l’extrême beauté de sa côte sauvage, où des vents enragés attisent de spectaculaires couchers de soleil sur la plage escarpée sous un ciel enflammé. C’est ici, au pied des montagnes couvertes de denses forêts, qu’est né le folklore des namahage, dont on reconnaît facilement les masques de ces déités à cornes iconiques, souvent une rouge et une bleue, un peu partout dans la région d’Oga. Selon la tradition, chaque année à la veille du 1er janvier, les namahage (en réalité de jeunes hommes portant les masques effrayants et des outils typiques, habillés en costumes de paille) descendent de la montagne et émergent de l’obscurité pour visiter chaque foyer du village et vérifier que tout le monde se porte bien et travaille bien, qu’on s’occupe bien des grands-parents âgés, qu’il n’y a pas de paresse chez les jeunes. En passant, ils terrorisent souvent les jeunes enfants en menaçant de les enlever de la maison, jusqu’à ce que leurs parents les supplient de les relâcher, en promettant que les enfants seront sages et pas paresseux durant la nouvelle année. Car il s’agit d’une façon extrême et théâtrale d’enseigner la bonne morale aux petits !

Mais si les namahage ont une apparence monstrueuse assez impressionnante, ce sont avant tout des déités qui apportent à chaque famille la bonne santé et la bonne récolte des champs et de l’océan. Ils sont accueillis avec la plus haute courtoisie, pendant qu’on leur sert à manger et à boire du bon saké pour les remercier de leur visite bienveillante. Chaque février depuis 1964, le festival Namahage Sedo réunit les communautés d’Oga autour du sanctuaire Shinzan pour des rituels de musique et de danse propres à Oga, suivis d’une cérémonie de purification shinto et des spectacles de danse et de tambours taiko des namahage devant le feu de joie. La soirée se conclut avec des offrandes de gâteaux de riz grillés (goma-mochi) pour accompagner les namahage qui rentrent à la montagne divine.

Dans le voisinage immédiat du sanctuaire, ouvert toute l’année, le Musée de Folklore Oga Shinzan propose aux visiteurs un court spectacle de théâtre à l’intérieur d’une vieille maison au toit de chaume et aux décors d’antan. Assis sur des tatamis dans la pièce à côté, vous pouvez témoigner de la visite rituelle de deux namahage à la maison, précédé de leur sakidachi annonciateur, tapant le sol des pieds, parlant d’une voix forte pour éloigner les mauvais esprits, et n’hésitant pas à traverser le quatrième mur pour « terroriser » les spectateurs de bon cœur. À la fin du spectacle, emportez avec vous un des morceaux de paille tombés des costumes des namahage, car il contient la grâce divine de ces déités de la montagne.

À quelques pas du théâtre, le Musée de Namahage, qui prend la forme d’une forteresse construite de pierres extraites du mont Kanpu, expose plus de 150 masques et de costumes de namahage issus de environ 60 lieux dans la ville d’Oga, ce qui permet d’apprécier de près nombre de variations aussi curieuses que ludiques de ces personnages folkloriques.

L’artisanat du Magewappa, les boîtes de bois courbé d’Odate

Dans le nord de l’Akita, la ville d’Odate cultive l’art du magewappa, une forme d’artisanat qui consiste à chauffer et courber le bois de cèdre d’Akita naturel pour fabriquer des petits récipients, traditionnellement utilisés pour transporter la nourriture comme le riz. Le plus ancien objet de magewappa documenté est une simple boîte ronde faite de bois de cèdre et de l’écorce de cerisier, exhumée sous les cendres de l’éruption du volcan Towada qui date de 915. Cette boîte d’Odate magewappa qui remonte donc à la période de Heian (794-1185) est exposée encore aujourd’hui au Musée de Folk d’Odate.

Pendant la période d’Edo (1603-1867), la famille Satake Nishi, qui habitait le château d’Odate, remarqua l’abondance du cèdre d’Akita sur leur territoire et recommanda aux samouraïs de développer les techniques de magewappa. Car le cèdre d’Akita naturel, avec son riche arôme, son beau grain et sa douce couleur, donne à la nourriture qu’il enveloppe une sensation luxueuse, et par extension plus délicieuse à manger en bento. En outre, la propriété anti-bactérienne naturelle du cèdre empêche le riz de se gâter, grâce à la finition en bois brut. L’Odate magewappa a été désigné comme un artisanat traditionnel national du Japon en 1980.

Si vous voyagez jusqu’à Odate, rendez-vous au Wappa Building de Shibata Yoshinobu Shoten, situé près de la gare d'Odate. Vous y trouverez une merveilleuse boutique d’Odate magewappa fait maison (boîtes de tailles diverses, tasses, un petit lavabo, même un aquarium privé pour un seul poisson rouge), ainsi qu’une petite collection exquise de magemono (boîtes de bois courbé) vintage achetées outremer, dont celle de la France, qui sent encore le vin et le fromage.

Shibata Yoshinobu Shoten propose également un atelier pour assembler votre propre marubentobako (boîte de bento ronde) d’Odate magewappa, après l’expérience de courber une bande de bois qui a été trempée dans de l’eau chaude. L’assemblage comprend la « couture » avec l’écorce de cerisier de montagne, la colle et l’adhésion par coups de maillet, et surtout l’art fin du lissage au papier de verre en utilisant différents degrés de papier pour finir le bois jusqu’à la douce caresse. Ce temps précieux passé à manipuler vous-même le cèdre d’Akita vous donnera certainement une nouvelle appréciation de l’artisanat toujours vivant de l’Odate magewappa.

Dans la même rue, à deux pas de la gare, se trouve le restaurant de Hanazen, la marque spécialisée depuis 1945 en ekiben (boîte de bento vendue à la gare) de tori-meshi (riz au poulet) de la gare d’Odate. C’est l’occasion de (re)découvrir ce plat de réconfort local, réinventé comme un mets élégant présenté dans d’authentiques boîtes de bento d’Odate magewappa qui ont servi pendant une vingtaine d’années. Le cèdre d’Akita des boîtes magewappa garde la chaleur et absorbe l’eau superflue du riz cuit, ce qui rend le riz plus moelleux. Ainsi, le poulet est d’autant plus délicieux, surtout accompagné d’un morceau d’aubergine géante à la sauce miso et de la soupe au junsai, un légume vert qui ne pousse que dans l’eau pure, autre spécialité de l’Akita. Montez au deuxième étage pour voir les employés de l’usine remplir les bentos de tori-meshi fraîchement préparé, ainsi que la grande boîte de magewappa qui contient le riz d’Akita Komachi cuit à la vapeur.

L’histoire de Bukeyashikidori, la rue des résidences samouraï de Kakunodate

Dans la ville actuelle de Senboku, l’ancienne ville-château de Kakunodate reste presque inchangée depuis son établissement en 1620 par le seigneur féodal Ashina Yoshikatsu. Longeant la rivière Hinokinai avec un tunnel de cerisiers sur 2 kilomètres, ce lieu entouré de montagnes sur trois côtés était naturellement protégé par la géographie pendant des siècles, avant d’être officiellement préservé pour sa signification historique à la fois culturelle et architecturale.

La grande rue Bukeyashiki (« résidence de samouraï ») traverse le quartier sur toute sa longueur, depuis la zone des commerçants au sud jusqu’à la zone des des samouraï au nord, où des dizaines de résidences demeurent intactes parmi plus de 400 cerisiers pleureurs et d’autres sapins centenaires. Certains descendants de ces familles de samouraï habitent toujours ces maisons traditionnelles, dont six sont ouvertes à la visite du public.

Parmi elles, la résidence de samouraï Ishiguro est la plus ancienne et représentative de la plus haute classe de samouraï sous le seigneur du clan Satake Kita. Souvent Ishiguro-san lui-même, un monsieur accueillant et sympathique de la 13e génération de sa famille, se présente pour vous faire la visite des parties publiques de son manoir, dont une plaque près de la porte Yakui-mon indique la date de sa fondation en 1809. Ainsi on découvre les différentes entrées de la résidence, selon le rôle et le rang de l’habitant ou de l’invité, et plusieurs détails des pièces à sol de tatami, comme les dessins de tortues découpées dans le bois de zelkova sous le plafond, l’élégante alcôve ornée de calligraphie, ou le délicat foyer en creux irori dans la pièce à manger. Du côté du jardin, des fenêtres sous le haut plafond laissent entrer plein de lumière naturelle avec une vue du dessous du toit de chaume. La salle d’exposition et l’entrepôt uchigura présentent d’autres documents et artefacts de la période d’Edo, y compris la grande flèche en bois protectrice de la maison, dont une reproduction reste accrochée au portail extérieur.

À quelques pas, la résidence de samouraï Aoyagi est aménagée en musée avec des expositions plus denses de livres, d’armures, d’armes à feu et d’épées, ainsi que différents outils et artefacts de la vie quotidienne. Dans le jardin, on retrouve notamment le buste du samouraï Odano Naotake, le peintre qui a ramené en Akita les techniques de peinture occidentale pour établir ce qui est devenu l’école de l’Akita Ranga. Derrière lui, une série de planches retrace son parcours artistique entre l’Europe et le Japon.

Au sud de la rue Bukeyashiki dans la zone commerçante, l’hôtel Tamachi Bukeyashiki vous propose un séjour authentique dans une maison de commerçant reconvertie en logement de grand standing. Tout le bâtiment met en valeur la beauté de son architecture de bois avec des poutres apparentes, des perspectives en longueur décorées de peintures thématiques contemporaines sur les murs, et beaucoup de caractère local et ludique dans chaque chambre. Dehors, tout le quartier de Kakunodate exprime de manière dramatique les quatre saisons, des sakura roses au printemps et la verdure en été, jusqu’aux feuilles enflammées en automne et la neige pure en hiver.

La culture des Uchigura, les « entrepôts intérieurs » de Masuda

Au sud de la préfecture d’Akita, dans la ville fameusement enneigée de Masuda dans la ville de Yokote, vivait autrefois toute une communauté de familles marchandes. Pendant la période d’Edo, certains marchands de Mito qui ont suivi les seigneurs féodaux Satake ont émigré en tant qu'ingénieurs miniers, mais une grande partie de la richesse des marchands de Masuda qui venaient des régions de Kanto et du Kansai provenait du commerce de la soie, du tabac, du bois et du riz. Le paysage urbain de Masuda tel que nous le connaissons aujourd’hui s’est formé après la période Meiji et jusque dans les années 1950. Les gouttières les plus anciennes de Masuda ont été construites en 1868 ; les plus récentes datent de 1935. Les marchands ont construit des entrepôts intérieurs au sein de leurs vastes résidences pour les protéger de la neige et de la pluie, sur le modèle des entrepôts en terre qui survécurent à de multiples incendies pendant la période d’Edo.

Invisibles de l’extérieur, souvent inconnus même des voisins, des entrepôts privés appelés uchigura n’étaient accessibles qu’aux membres de la famille résidente. Aujourd’hui, une cinquantaine de ces uchigura recouverts de plâtre noir sont encore habités par les résidents de Masuda, pendant que certains sont ouverts au public. Ces espaces intimes, presque comme une petite demeure secrète au sein de la grande résidence, nous donnent un autre aperçu de la vie quotidienne familiale de l’époque.