Dégustez la richesse culinaire et la fermentation gastronomique de l’Akita

Située dans les montagnes enneigées du nord-est du Japon, la préfecture d’Akita est réputée pour sa gastronomie riche en produits fermentés, qui se marient de façon élégante avec ses mets classiques. Si tous les mets remontent à des traditions culinaires locales, notamment celle de conserver la nourriture pendant les hivers longs et rudes, certaines innovations en matière de fermentation gastronomique sont en train de renouveler les goûts pour nos sensibilités contemporaines. Petit tour gourmet de l’Akita.

Les mets traditionnelle , de la finesse clan Akita au pot-au-feu

Les Inaniwa udon, des nouilles qui s’offrent en cadeau

Les nouilles Inaniwa udon sont un des mets les plus prisés de la préfecture d’Akita, en plus de figurer parmi les trois styles d’udon les plus réputés du Japon (avec les Sanuki udon de Kagawa et les Mizusawa udon de Gunma). Ces belles nouilles fines et délicates, presque translucides, qui glissent sur le bout des baguettes, se distinguent par leur méthode de fabrication méticuleuse dans des conditions particulières afin d’obtenir leur texture moelleuse unique.

Les Inaniwa udon datent du début de la période d’Edo au 17e siècle, lorsque Ichibei Sato, résident du quartier d’Inaniwa de la ville de Yuzawa, eut l’idée de fabriquer des udon à partir de la farine locale. Son succès fut tel que le seigneur Satake de l’ancien domaine d’Akita offrait ces nouilles délicieusement raffinées comme cadeau—une coutume qui perdure jusqu’à ce jour.

Depuis que cette ancienne méthode de fabrication familiale, transmise de génération en génération depuis des siècles, a enfin été rendue publique en 1972, les Inaniwa udon sont passées d’une industrie artisanale à une entreprise commerciale. Aujourd’hui, les maisons de fabrication invitent les visiteurs à déguster leur udon sur place dans plusieurs établissements de la zone de production à Yuzawa, d’acheter des udon sèches en paquet cadeau, ou même à apprendre à en fabriquer soi-même le temps d’un atelier en usine.

Le kiritanpo nabe, un pot-au-feu aux brochettes de riz

Plat de réconfort que l’on mange généralement au dîner, le kiritanpo nabe est une marmite qui contient de copieuses brochettes de riz grillées, à laquelle on ajoute souvent de la bardane, des champignons maitake, des oignons verts ou du persil, dans un bouilli de poulet savoureux assaisonné. Les kiritanpo sont originaires des villes d’Odate et de Kazuno dans le nord de l’Akita, où autrefois les habitants des montagnes écrasaient les restes de riz pour les griller en brochettes au charbon de bois, puis les mettaient dans une marmite de poulet. Le nom vient de tanpo (épis de riz courts) et kiri (coupés).

Le grand pot-au-feu de kiritanpo est souvent préparé pendant la saison de récolte du nouveau riz, un mets devenu cérémonial qui réunit la famille et accueille les invités. Chaque année, les deux villes concurrentes d’Odate et de Kazuno ont chacune leur propre festival pour fêter les kiritanpo dans tous leurs aspects et inviter les gens à déguster ces brochettes de riz fraîchement récolté, grillées et imbibées d’un délicieux bouillon de poulet gras Hinai.

Le Hinai-jidori, une des grandes volailles japonaises

Les kiritanpo, aussi bien que les Inaniwa udon, se marient particulièrement bien avec la soupe et la viande tendre et légèrement grasse du poulet de luxe propre à l’Akita : le Hinai-jidori. Il s’agit d’une des trois grandes volailles du Japon, avec le Satsuma-jidori de Kagoshima et le Nagoya Cochin d’Aichi, élevé depuis la période d’Edo dans le nord de l’Akita. Reconnaissable entre autres par son long cou et sa petite crête, il est élevé en plein air pendant au moins 100 jours, et sa viande plus ferme et succulente ressemble à celle des faisans et des pigeons de montagne indigènes.

Au centre-ville d’Akita, le restaurant-izakaya Sot-l’y-laisse séduira les gourmands de poulet, dont le nom (en français dans le texte) fait référence à ce morceau de viande très fin situé de chaque côté de la carcasse au-dessus du croupion. Ce jeune restaurant spécialisé achète les Hinai-jidori entiers pour en décortiquer chaque morceau et le préparer à la perfection : le sashimi rose pâle et rouge saignant à tremper dans le sel rose et la sauce de soja, les boules de tsukune moelleuses recouvertes d’une sauce douce, le foie sur des toasts, les gésiers rouges vifs grillés en brochette, l’oyakodon (poulet et œufs cuits à la vapeur sur du riz), sans oublier les inaniwa udon délicatement enroulées dans le creux d’une assiette et couronnées de morceaux de choix de Hinai-jidori.

La cuisine « sauvage » de la péninsule d’Oga

Cette péninsule montagneuse qui s’étend dans la mer du Japon, connue pour sa tradition des esprits-démons Namahage qui descendent dans les villages au nouvel an pour vérifier que toutes les familles travaillent bien, maintient aussi ses propres traditions culinaires liées à la pêche.

L’ishiyaki ryori, mijoter sa soupe avec une pierre brûlante

L’ishiyaki ryori est une méthode de cuisson qui remonte à une époque où les pêcheurs qui s’éloignaient des côtes rocheuses d’Oga dans des bateaux en bois se débrouillaient avec les moyens à bord pour cuisiner leur déjeuner. Ils mettaient la pêche du jour avec des algues marines et des poireaux dans une grande cuve d’eau, puis y ajoutaient des pierres brûlantes afin de faire cuire tous les ingrédients en les mijotant, le tout au goût du miso.

Aujourd’hui, la cuisine ishiyaki est plus un spectacle pour touristes animé de grosses bouffées de vapeur, de crépitements du feu, et des fameuses pierres de roche volcanique luisantes d’un rouge ardent à 800 degrés. Au Seiko Grand Hotel d’Oga, vous pouvez apprécier ce spectacle culinaire et en manger les délicieux fruits de mer : un bol de soupe savoureuse avec des morceaux de daurade bien cuite.

Le shottsuru yakisoba, des nouilles à l’huile de poisson divin

Après avoir goûté une des trois grandes udon et une des trois grandes volailles du Japon, restez dans la préfecture d’Akita pour en déguster une des trois grandes huiles de poisson. L’huile shottsuru d’Akita (comme l’Ishiru de Noto et l’Ikanago de Kagawa) a sa place dans la tradition des huiles de poisson asiatiques, comme le nuoc mam viêtnamien ou le nam pla thai. Mais si toutes ces huiles umami commencent par la fermentation du poisson (sardine, anchois, etc.) avec le sel, l’intérêt particulier de l’huile shottsuru, c’est le poisson dont elle est issue : le hatahata (Arctoscopus japonicus) est un poisson sans écailles indigène de la mer du Japon au large de la péninsule d’Oga, considéré comme un poisson envoyé par Dieu, car ils s’écraseraient brusquement sur le rivage avec les grosses vagues et le bruit du tonnerre à l’arrivée de l’hiver.

Au sud de la péninsule, à deux pas de la gare d’Oga, le restaurant attaché à la grande boutique de souvenirs Ogare est fier de présenter sa spécialité de shottsuru yakisoba, servi par un robot. C’est un savoureux plat de nouilles soba grillées aux fruits de mer et à la fameuse huile shottsuru, plus fine que la sauce de soja, qui fait de ces yakisoba locales une vraie gourmandise.

La fermentation gastronomique, entre tradition et innovation

Forte de sa nécessité de conserver les aliments pendant de longs hivers enneigés, l’Akita a développé sa propre culture de la fermentation gastronomique depuis les temps anciens, où tout se fermente et rien ne se perd. Les produits fermentés sont également riches en micro-organismes probiotiques qui contribuent à la bonne santé intestinale et immunitaire des habitants. Des levures, du sucre, du sel, de l’alcool ou du vinaigre, le temps de la chimie des enzymes sur les aliments nous donne des goûts plus aigres ou subtils, parfois surprenants.

Dégustez un menu gourmand pour les férus de la fermentation

À un coin de rue du vieux centre de Kakunodate, l’ancien quartier des familles samouraïs, à l’étage d’un immeuble qui garde encore les artefacts d’un mode de vie dans les montagnes de neige, le Shokudo Inaho se spécialise dans la cuisine caractéristique de l’Akita, avec une touche créative. Au menu, on retrouve la marmite de kiritanpo au hinai jidori, le pot-au-feu à l’huile shottsuru, les inaniwa udon aux garnitures végétales multicolores, et surtout, nombre de variations de l’incontournable iburi gakko.

Délice omniprésent dans la cuisine de l’Akita, l’iburi gakko est une espèce de radis local fumé et fermenté au sel et au son de riz, souvent coupé en tranches fines comme plat d’accompagnement. Il se décline dans plusieurs cases du Gakko kaiseki, un menu de dégustation qui comprend une grille gourmet de neuf entrées, toutes fermentées. Des iburi gakko frits en tempura, marinés au miso ou partageant la case avec le natto, en passant par les tomates cerises fermentées au sel, le daikon rose au vinaigre, le chou-fleur au curry ou un mélange de légumes de saison confits et coupés au carré. En somme, c’est un menu de fermentation gourmet et ludique qui stimule les cinq sens.

Goûtez aux sakés de riz hybrides de la brasserie Suzuki

En parallèle avec la fermentation acétique au vinaigre, la fermentation alcoolique du riz de l’Akita a produit des sakés qui ont également évolué au cours des siècles, catalysée par le ferment japonais appelé koji (aspergillus oryzae).

La brasserie Suzuki, qui fabrique le fameux saké Hideyoshi depuis 1689, est une des plus anciennes brasseries de l’Akita. Le nom de marque remonte à une exclamation du seigneur Satate, qui lors d’un concours de 1848 estima que leur saké était d’une excellence sans égal (« hiidete yoshi »). Depuis 19 générations de la famille Suzuki, la brasserie occupe toujours le même bâtiment historique à Kakunodate, dont les vitres artisanales centenaires donnent sur une cour contenant un arbre de 300 ans et de l’eau pure qui coule entre les sapins abrités de la neige.

Passé le noren de l’entrée, on découvre une brasserie active en hiver : pendant que l’odeur du riz à la vapeur s’échappe d’un immense tonneau de bois, deux hommes attrapent 20kg de riz fraîchement cuit dans une brouette énorme et le transportent aussitôt pour être brassé. Différentes variétés de riz sont utilisées, y compris le fameux Yamada Nishiki (adapté au saké de haute qualité) et l’Akita Komachi local, en plus de nouvelles variétés hybrides de l’Akita développées spécialement pour le saké, comme le Hyakuden ou l’Ichihozumi.

A l’extérieur d’une pièce étanche construite il y a 70 ans, dont la température et l’humidité sont rigoureusement contrôlées et d’où émane une douce odeur qui évoque déjà l’amazake, une photo nostalgique d’hommes torses nus en casquettes bleues malaxant le koji à la main montrent le vieux processus de brassage traditionnel. Encore aujourd’hui, ce travail manuel quotidien dure plusieurs semaines, juste avant la filtration du moromi qui résulte en saké plus ou moins raffiné.

En face d’immenses cuves bleues et vertes qui occupent toute la verticalité de l’entrepôt, s’affairant dans une grande salle de cuves traversée par des échelles et des tuyaux, le toji (brasseur en chef) jovial, Shigemasa Ishizawa, nous invite à goûter les derniers sakés mis en bouteille par la maison. Que chacun-e trouve son plaisir dans une gorgée de saké Hideyoshi dégusté sur place, où les secrets de fabrication remontent au temps des samouraïs.

Découvrez l’alchimie gastronomique de la brasserie Yamamo

La brasserie de miso et de sauce de soja Yamamo, brouille les frontières entre la chimie et l’alchimie, où l’art de la fermentation est mis au service de la recherche culinaire et de l’innovation gastronomique.

Fondée par Mosuke Takahashi à Iwasaki dans la ville de Yuzawa en 1867, alimentée par l’eau fraîche de la rivière Minase, la brasserie Yamamo est dirigée depuis 2006 par Yasushi Takahashi, architecte de formation, héritier charismatique et mondain de la 7e génération. Le jeune brasseur infuse ce lieu historique d’une ambiance contemporaine qui exprime un savant mélange d’art et essai, de cuisine expérimentale et de récits contextuels.

On comprend mieux sa vision progressiste de la microbiologie culinaire au cours d’une visite gastronomique guidée qui soigneusement met en scène des dégustations de plats fermentés expérimentaux dans les différents décors industrio-culturels du lieu. Ainsi, dans l’entrepôt du moromi, où le koji de riz fermente avec des haricots de soja, du blé, de l’eau douce et la levure résidente dans des cuves de cèdre centenaires, on mange du gibier d’ours fermenté avec une sauce miso à l’agrume, accompagné d’un vin blanc 2020 doux et fruité, inédit car fermenté avec la même levure maison que le miso. Dans l’entrepôt du moromi, où le koji de riz fermente avec des haricots de soja, du blé, de l’eau douce et la levure de Viamver, on mange du gibier d’ours accompagné d’un vin orange 2020 doux et fruité, inédit car fermenté avec la même levure maison que le miso.

Si le Viamver se marie particulièrement bien avec la texture laiteuse du saké non raffiné doburoku, Yamamo l’utilise pour ajuster finement le goût de tous les plats servis dans son café. De la légère et exquise purée de tofu fermenté et de foie d’ayu cuite à la vapeur des eaux thermales d’Oyasukyo Onsen, à la viande succulente et adoucie de l’agneau fermenté pendant deux semaines, jusqu’à la crème brûlée sublime faite avec du miso âgé de 20 ans accompagnée d’une sauce de framboise aigre, en passant par le risotto au millet awa et le gelato de soja aux noix arrosé d’huile d’olive, on y découvre toute une palette de la fermentation gastronomique qui met en valeur des goûts subtils et des mariages surprenants.

À l’étage, accrochée au mur de la galerie d’art thématique de la brasserie, une toile abstraite et granuleuse suggère une image de microscope agrandie en gros-plan. Il s’agit en effet d’une œuvre organique composée de spores de koji vivantes en cours de transformation imperceptible. On pourrait y voir un symbole de notre coexistence et de notre synergie, voire symbiose avec les bactéries qui nous entourent, que nous mangeons et qui habitent nos corps, qui nous permettent de vivre, de ressentir notre environnement et d’évoluer avec lui.

Bien que la fermentation des aliments dans la région de l’Akita remonte à des traditions culinaires anciennes de conservation de la nourriture et de brassage alcoolique, plus récemment cette alchimie des ingrédients inspire aussi une gastronomie innovatrice qui nous projette dans un avenir symbiotique plein de nouvelles saveurs. Il ne vous reste plus qu’à venir déguster ces plats gourmets traditionnels et expérimentaux par vous-même pour goûter à la culture de l’Akita dans toute sa richesse culinaire.